DÉSENCHANTÉ
Remonter à contre courant
Jusqu’à la source des rivières
Comme les grands poissons mourant
Aux rives froides des gravières ;
Retrouver de l’onde première
Sous son chatoiement argenté,
Les jeux d’ombres et de lumière
Au soir d’un jour désenchanté.
Donner au verbe indifférent
La force pure des prières
Que l’amour accroche en pleurant
A la grille des cimetières ;
M’enraciner comme le lierre
Aux lieux où je fus enfanté
Encore une fois, la dernière,
Au soir d’un jour désenchanté.
Susciter un visage errant
Juste en refermant la paupière,
Retenir, dans son poing serrant
Des grains de sable et de poussière,
Par une grâce singulière,
La touffeur d’une nuit d’été,
L’essence d’une vie entière
Au soir d’un jour désenchanté.
Amis, daignez fleurir ma bière
De ce que les ans m’ont ôté
Pour m’aider à porter ma pierre
Au soir d’un jour désenchanté. ..
GILLES LE SAUX
QU’AVEZ-VOUS APPRIS ?
Qu’avez-vous appris, jeune fille,
Qu’on n’enseigne pas au couvent,
De ces pensers qu’on a souvent
Lorsque le cœur soudain vacille ?
Lorsque le drap rude émoustille
La pointe d’un sein émouvant,
Qu’avez-vous appris, jeune fille,
Qu’on n’enseigne pas au couvent ?
Lorsque le soir sous la charmille,
Vous vous allongez en rêvant
Aux gestes tendres et fervents
Des mes mains qui vous déshabillent,
Qu’avez-vous appris, jeune fille ?
GILLES LE SAUX
AU JARDIN
Venez ! Descendons au jardin
Et causons de choses légères !
Venez, ce soir mon cœur austère
Aspire à s’avouer badin !
Soyez le galant baladin,
Qui s’attache à ma robe claire,
Me surprenne et sache me plaire
Sous le ciel couleur lavandin !
L’ombre s’étend ! Si je frissonne …
C’est qu’il est trop doux cet automne
Au grisant parfum de cédrat.
Notre promenade si lente
M’enivre, infiniment troublante,
Ma main pesant sur votre bras.
La nuit invite aux jeux frivoles :
Enflammez-moi des phrases folles
Que le désir vous soufflera !
GILLES LE SAUX
A UNE HÉROÏNE DE ROMAN
Je suis un vieux jeune homme et je hante un vieux livre,
De ces romans jaunis à l’odeur de jardins
Qui, novembre venu, s’enluminent soudain
D’ocres roux rutilants sous le tain bleu du givre.
Vieux jeune homme fourbu, je ne sais plus que vivre
Un âge où s’enlaçaient les amoureux badins
Sous l’ombrelle cachés, cocottes et gandins
Et puis vous, ma douceur, à la toison de cuivre.
Quand je l’ouvre au signet, vous me laissez entrer
Afin qu’au fil des mots, quand germe mon envie,
Je puisse partager le cours de votre vie
Sous le regard moqueur que vous laissez filtrer.
Je vous plais, je le sais … mais vous êtres trop sage,
Car de votre candeur je ne puis recevoir,
Du bout de votre gant, qu’un geste d’au-revoir
Et le baiser promis, à la dernière page.
GILLES LE SAUX
Posted on 10 janvier 2017 in Poèmes primés