Poèmes primés 2019 : 1er prix

Le présent magnifique

Telle une main tendue au moment du naufrage,
Une lumière intense au milieu de la nuit,
L’amitié peint de bleu le front bas de l’orage
Et change en oasis la fureur et le bruit.

Comme, dans le désert, la source bienfaisante
Offre à l’homme égaré la fraîcheur de son eau,
De ce présent jaillit une force apaisante
Qui revêt de soleil le plus sombre tableau.

Sur le chemin semé de rires et de larmes
Se croisent des tourments et des bonheurs soudains.
Le chagrin se fait lourd à porter seul, sans armes,
Les plaisirs partagés sont de tendres jardins.

Quand l’amitié viendra frapper à votre porte
A petits coups discrets, surtout recevez-là ;
Un merveilleux ballet de colombes l’escorte,
Suivi de chérubins en habits de gala.

Roger Chevalier

Paysage d’hiver

De timides flocons se posent au matin,
Imprudents éclaireurs fascinés par la lande,
Dévorés sur-le-champ par la terre gourmande,
Mais préparant le sol à un autre destin.

Bientôt la neige étend, pour un joyeux festin,
Sur les toits et les prés, sa grande houppelande,
Et parsème les bois d’une riche guirlande
Dont perles et brillants parent le blanc satin.

Des enfants radieux façonnent le visage
D’un bonhomme béat devant ce paysage ;
Les foyers font danser leur lente exhalaison.

Le gentil ruisselet murmure dans la combe ;
Enfin quand, à son tour, doucement la nuit tombe,
Chacun clôt ses volets sur la rude saison.

Roger Chevalier

Lointain souvenir

La cité, la nation rêvaient de ce voyage.
Une foule fiévreuse attend dans le matin
L’aurore d’un espoir au milieu de l’orage,
Le messager porteur des signes du destin.

Les trois oiseaux géants, posés, cessent leurs trilles ;
La fourmilière humaine abjure les égards :
Son premier rang gémit, pressé contre les grilles ;
De jeunes insensés grimpent sur les hangars.

Et quand l’Homme paraît soudain dans la lumière,
Eclate brusquement la puissante clameur,
Unanime credo, chorale singulière,
Où se mêlent des chants aux larmes de bonheur.

Au pied de son avion le guettent les musiques,
Les hymnes, les discours, les levers de couleurs,
La troupe au garde-à-vous, les gestes symboliques,
Les mots accoutumés des maîtres bateleurs.

Autour de lui s’ébat la Cour de circonstance,
Ballet de conseillers et d’experts éminents,
Drapés de certitudes et bouffis d’importance,
Promenant sur les flots des regards dominants.

Enfin l’homme prend place, au milieu des vacarmes
Dans une limousine auprès du chancelier,
Piaffe à deux pas de nous qui présentons les armes,
Puis s’éloigne au galop, tel un preux chevalier.

Je revois bien souvent cette immense kermesse ;
C’était le vingt-six juin de l’an soixante-trois.
John Kennedy venait célébrer la grand-messe
À Berlin, près du mur où s’élèvent des croix.

Roger Chevalier

La récompense

Qui trop aime profit néglige d’être sage ;
Un aubergiste en fit le rude apprentissage.
Au temps jadis, Roland, gai luron du coteau,
Trouvant quelques bolets tapis parmi les herbes,
Les porte sans attendre au Prince du château,
Qui les reçoit, disant : « Tes cèpes sont superbes.
Pour te gratifier, prends cet écu d’argent ! »
Roland le remercie et file, diligent,
Pour s’offrir nourriture
Et conte l’aventure
A l’aubergiste, amer, qui songe, méprisant :
« Si, pour des champignons, il mérite une thune,
Que m’accordera-t-on pour un plus beau présent ?
Sans doute une fortune ! »
Le voilà qui mitonne un sublime festin
Avec viandes, poissons, desserts et chambertin :
De quoi gaver sans peine une belle assistance !
Il emmène au château ce banquet d’importance
Le montre au châtelain.
Le prince accepte, patelin,
Car il faire aussitôt le calcul de cet homme,
Et le vil intérêt qui le motive, en somme.
Lors pour récompenser son cadeau succulent,
Il donne à l’hôtelier…les cèpes de Roland !

Roger Chevalier

Posted on 11 décembre 2019 in Poèmes primés