LES SEPT DE TIBHIRINE
Neuf trappistes, piliers de l’idéal chrétien
Cultivent l’arc en ciel aux jardins de poussière,
Du bouquet de couleurs, font jaillir la lumière
Car l’ardeur de leur foi porte le quotidien.
Ils jurent de rester en sol algérien
Où cloche et muezzin annoncent la prière.
Malgré l’embrasement de la fièvre guerrière
Qui fait fuir le commun, les neuf n’ont peur de rien.
De leurs jours ils font don par passion divine.
Sept frères subiront la démence assassine,
Sacrifice invisible aux confins de l’Atlas.
Et pour ultime outrage étouffé par l’enquête,
– Comme pour profaner leur vie au ciel, hélas –
Des cercueils pleins de sable avec leur seule tête.
Pierre Bernard
LES DOIGTS JAUNES
Jeune il se croit hideux. Il est traumatisé.
Douze ans, torse étoilé, son image l’attriste.
Oreilles, nez, il voit sur un panneau vichyste
Son faciès trait pour trait et son cœur est brisé.
Auteur-compositeur ce dandy mal rasé
Séduit les sex-symbols de ses tours d’alchimiste.
De Verlaine à Prévert…posthume mélodiste,
Il modernise. On crie au pillard anisé !
Elevant l’art mineur au rang de poésie
Il décline l’amour jusqu’à la frénésie,
Mots puisés dans sa chair et son âme en lambeaux.
Le chanteur que pourtant, un grand nombre rembarre,
Me trouble, m’éblouit, de Gainsbourg à Gainsbarre …
Quand l’être et l’art ne font qu’un, dès lors les deux sont beaux.
Pierre Bernard
EN DROGUET GRIS
Combien de jours perdus, par lui-même détruits
De soleils éclipsés par des sombres rayures
De lunes sans clarté couvertes de hachures
Il aura vu passer à travers un pertuis ?
De cet univers clos il connaît tous les bruits
Les barreaux que l’on sonde et le choc des serrures
Les hurlements d’angoisse au réveil des blessures
Les coups que l’on échange en des instants fortuits…
Il rêvait du meilleur, pour ses enfants, sa femme
Il ne leur a légué qu’une existence infâme
De désespoirs, de pleurs et de lointains parloirs.
Il est un père, un fils mais toute la famille
Jusque dans la centrale, au fin fond des couloirs
Subit les discrédits dont la rumeur fourmille
Pierre Bernard
Confession
Dévoré de remords je ne peux oublier.
Du passé, des reflets viennent frapper ma glace.
Je revois mon erreur et mon être se glace.
En moi, grain après grain, gronde le sablier.
Ma pudeur a changé mon cœur simple en geôlier,
J’emprisonne ma honte et je la cadenasse
Car de mon âme à vif suppure ma disgrâce.
Dois-je m’immuniser, forger un bouclier ?
Un confesseur dirait ma faute rémissible.
Mon for intérieur la rend inadmissible,
Son sel creuse une plaie ouverte à tout jamais.
Ma mère aurait sa place au rang de bien des saintes.
Les bontés de mon père ont laissé mille empreintes.
Mon tort ! N’avoir pas dit combien je les aimais.
Pierre Bernard
Posted on 11 décembre 2019 in Poèmes primés