Poèmes primés 2021 : 1er prix

Le buste du poète

Qu’on me donne un maillet, des ciseaux, une ripe,
Et qu’on me laisse seule à l’opium de ma pipe
Pour sculpter votre buste avec tant de ferveur
Qu’un seul regard vers lui fera naître un rêveur.

Fébriles sont mes mains et craintive mon âme
A ciseler l’éclat de votre ardente flamme,
A broder de fils d’or les limbes glorieux
Qui font de vous l’élu du domaine des dieux.

J’ai réchampi vos traits d’un sourire tragique,
D’un front haut tourmenté d’une ombre nostalgique,
De lourds sillons gorgés de noblesse et d’ardeurs :
Vous reconnaissez-vous, poète des Splendeurs ?

S’il faut, de vos talents, préserver la mémoire
Telle que je la tiens au creux de mon grimoire,
Je pétrirais l’argile et le bronze et l’airain,
Des siècles à venir vous ferais souverain.

O chantre sans égal d’une quête mystique,
Illustre bâtisseur d’une Légende épique,
Voyez combien mes yeux enchaînés à mon cœur
Disent que de la mort vous demeurez vainqueur.

Et sur le marbre nu dont vous êtes l’otage
Désemparé, si loin du branlant Ermitage,
Je n’aurai de répit pour faire rejaillir
L’âme de cette fleur que nul n’a pu cueillir.

 

Fantasmagorie

C’est un manoir hanté par des esprits malins,
Pressés, quand meurt le jour, de partir en vadrouille
Dans les ruines du parc où le silence grouille
Du thrène lancinant d’immondes gobelins.

Garde-toi de croiser ces spectres orphelins
D’un faste glorieux dévoré par la rouille :
Tapis sous les remparts, infernale patrouille,
Ils sèment sur tes pas des râles sibyllins.

Fuis ! Car nul ne survit aux poisons de leur bouche !
Le feu sombre et glacé d’un seul regard farouche
Condamnerait ton âme à d’infinis tourments.

Laisse le sang des murs abreuver les décombres,
Le sous-bois au linceul, la douve aux ossements,
Et les donjons maudits à la fureur des ombres.

 

Un oiseau de passage

Et le temps suspendit sa course vagabonde …
Quand elle m’apparut, marchant d’un pas léger
Sur le môle où l’été soldait son viager,
Plus belle que l’azur, plus grisante que l’onde !

Tout parut se figer dans la douceur côtière :
La mer devint un lac, miroir de sa beauté,
L’astre d’or lui fit don d’un ruban biseauté
Pour ceindre ses cheveux d’un tortil de lumière,

L’air pailleté d’embruns se fit si translucide
Qu’il gomma le décor. Ô doux aveuglement
De ne voir que l’objet de mon affolement
S’acheminer vers moi, vers moi seul, dans le vide !

Mon souffle vacillait ; j’étais sourd ; sans mémoire ;
Mes entrailles brûlaient jusqu’à mon front vermeil.
«Je meurs » me dis-je alors « Ou n’est-ce qu’un sommeil
Qui trompe ma raison par un songe illusoire ? »

« Mais je vois ! Je la vois ! Et voici qu’elle approche,
Ô fille de Vénus ! Mirage de velours !
Je veux être le brin qui ganse tes atours
Et sertir ma prunelle à la fleur de ta broche »

Hélas ! De ses yeux pers elle fouillait la grève
Bien au-delà du fou planté sur son chemin ;
Je respirais encor son parfum de jasmin,
Quand un son déchira le voile de mon rêve.

Tournant avec effort ma carcasse dolente,
Je la vis s’élancer à bord d’un caboteur
Pour couvrir de baisers l’élu de mon malheur,
Un robuste corsaire à la mine insolente.

Ah, comme elle exultait ! Combien j’étais sinistre !
J’aurais voulu crier à ma belle-de-jour :
« Regarde ? Je suis là ! Tu te trompes d’amour !
Mon âme a plus d’ardeur que celle de ce cuistre ! »

Mais fringante et légère elle quittait la place,
Me laissant misérable aux portes de l’enfer ;
Quand le soleil plongea dans l’horizon de fer,
Mon sang ne charriait plus que des copeaux de glace.

Elle avait disparu ma délicate aronde,
Ma nymphe, ma promise au bras de l’imposteur,
Sans même un battement de cils consolateur !
Et le temps poursuivit son implacable ronde …

 

Le sang du vitrail

Je m’étais égaré dans ces murs de prière
Un jour où le soleil chantait le mois d’avril,
L’un de ces matins bleus à l’arôme subtil
Que Lisbonne répand à l’heure printanière.

Elle était à genoux sous un puits de lumière,
Offrant à mon regard son délicat profil
Où coulait une larme. Une perle de cil …
Dieu ! Que dans sa douleur la dame était altière !

Elle implorait le ciel d’une voix familière,
Parlant de faena, d’indulto, de toril,
Un langage nouveau pour mon tout jeune exil
Qui n’avait de la foi qu’une ardeur séculière.

Je me soûlai des mots. Ah ! L’ivresse grossière !
En ce lieu consacré, je me sentis bien vil
De ne former des vœux autres que son babil
Montant avec ferveur de sa gorge princière.

Mon soupir égailla la divine poussière
Qui liait la pleureuse au vitrail, tel un fil ;
Sous le charme je fis un rêve puéril :
Je buvais le Saint Graal dans l’eau de sa paupière.

Posted on 6 décembre 2021 in Poèmes primés