Poèmes primés 2021 : 2ème prix

« Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants. »
Edouard Herriot

Meurtre d’enfant

Dieu sait combien c’est dur d’enterrer ceux qu’on aime
Aussitôt que leur corps succombe au poids des ans,
Mais la douleur rend fou lorsqu’à la morgue, blême,
On reconnait sa fille, encore à son printemps !

Il faut tenir, ensuite … église … cimetière …
Les yeux sur un cercueil abondamment fleuri,
L’esprit près d’une femme, avec la ville entière,
Pleurant le fruit d’amour qu’un malade a flétri …

Mais, de retour chez soi, le courage décline,
Embrume les regards tournés vers l’horizon,
Les abords du ruisseau dévalant la colline
Où l’homme la guettait, regagnant la maison.

Nous ne la verrons plus, hélas, quand la nuit tombe,
Refuser de dormir sans un tendre baiser …
Pourtant ne cherchez point notre enfant dans sa tombe :
En nos cœurs, bien vivante, elle va reposer.

 

Amours légendaires

Si j’étais, comme Adam, seul, sur terre avec Eve,
Réfrénant un désir plus brûlant chaque jour,
Je croquerais la pomme et choisirais l’amour :
Le véritable Eden est celui dont on rêve !

Si j’étais Osiris, mon ange de douceur
Prouverait que l’amour de la mort reste maître
En me ressuscitant … Notre enfant pourrait naître,
Ayant pour mère et tante Isis, ma femme-sœur.

Si j’étais Roméo, l’amant de Juliette,
Le clan des Capulet me condamnant à mort,
Nous fuirions tous les deux l’injustice d’un sort
Transformant en calvaire une idylle discrète.

Si j’étais le beau Tite, ex-débauché romain
Mais le futur César épris de Bérénice,
J’abdiquerais sur l’heure, avant qu’on la bannisse,
Incestueuse ou non, car je briguais sa main …

Criant partout le nom de mon inspiratrice,
Si j’étais comme Dante, écrasé de douleur,
Je laisserais l’Enfer consumer mon malheur,
Certain qu’au Paradis m’attendrait Béatrice.

Si j’étais Cyrano, « ma » Roxane au balcon,
J’aiderais de mon mieux Christian de Neuvillette
A me briser le cœur en faisant la conquête
D’un trop joli minois pour mon grand nez gascon.

Si j’étais Abélard, une vengeance inique
M’ôterait les moyens de mourir de plaisir
Dans les bras d’Héloïse, et j’aurais tout loisir
De regretter, comme elle, un élan platonique …

Quand la vie est banale, on veut l’enjoliver :
Je ne désire pas des amours de légende,
Des tourments si cruels qu’il n’est cœur qui se fende
Lorsqu’on les cite encor … Mais, ne puis-je rêver ?

 

Quand les vieux durent trop longtemps…

La maison de retraite s’impose

(Gérardine)

Dans le discret mouroir où son fils l’a casé,
Sur un aussi grand lit que son mouchoir de poche,
Il s’éveille perclus, toujours dépaysé,
Et, sachant le futur d’un vieillard plutôt moche,
Se fabrique un présent … de passé composé !

Heureux du trait d’amour que Cupidon décoche,
Il revoit sa compagne et leur gentil poupon :
Un garçon adorable, exempt de tout reproche
Avant que ne l’épouse un despote en jupon.

Au décès de sa femme, une absurde broutille
A nanti cette bru d’un prétexte fripon
Pour ravir son fauteuil de chef de la famille.

Depuis, de trop chez lui, de chagrin écrasé,
Il ruse avec la mort, nargue sa belle-fille,
Dans le discret mouroir où son fils l’a casé.

 

Posted on 6 décembre 2021 in Poèmes primés