Longue nuit
à ceux qui dorment dehors…
Longue nuit, lourde nuit, sourde nuit ! Aucun rêve
Ne vient rompre le froid qui s’enroule sur moi.
Qu’il semble loin l’instant où le soleil se lève I
Qu’il semble chaud le lit sous n’importe quel toit !
Sombre nuit, vile nuit ! Sous mon carton humide,
J’entends le gargouillis d’une bouche d’égout,
Ultime compagnie en ce monde trop vide
Où tout ne revêt plus qu’un éternel dégoût.
Pauvre nuit, dure nuit ! Entre deux portes closes,
Je voudrais déchirer le ciel d’obscurité
Comme un drap trop épais et voir, sublime chose, Apparaître le bleu du jour et sa clarté !
Rude nuit, laide nuit ! Nuit immense et glacée
Tes étoiles ne sont que des flocons d’enfer
Qui tombent silencieux sur l’horrible chaussée
À travers la fenêtre ouverte de l’hiver.
Sonnet
RefIets d’or
Je rêve et je revois la mer aux reflets d’or
Qui de sa douce vague amuse le rivage
En jouant, à loisir, avec un coquillage
Tandis qu’un papa bronze et qu’une maman dort.
À l’horizon, la vague, aux mêmes reflets d’or,
Dans son onde engloutit, ténébreuse et sauvage,
Un radeau d’exilés, laissés sans équipage,
Avec le désespoir pour compagnon de bord.
Qui sont ces naufragés sans visage et sans nombre ?
Et pourquoi du soleil n’ont-ils le droit qu’à l’ombre ?
Comment se nomment-ils ? Qui les attend encor ?
Et la mer impassible, innocente, insolente,
Promène sur son dos aux flots de reflets d’or
Une éternelle vague assassine et tremblante.
À pas de loup
Tourne la lune autour du monde,
Tantôt d’ébène et tantôt d’or !
Quand vient le soir, la forêt gronde,
Peut-il y vivre un loup encor’ ?
La nuit se gonfle de mystère
Sous les yeux éclos du hibou,
Et roulant sur le Mont-Lozère
Passe la lune à pas de loup.
Tourne la lune à demi-ronde,
Moitié d’ébène et moitié d’or !
Le loup s’invite dans la ronde
Alors qu’on l’imaginait mort !
Qu’on la craigne ou qu’on la vénère,
L’ombre bestiale erre partout ;
Et flottant dans le ciel, légère,
Passe la lune à pas de loup.
LUDOVIC CHAPTAL
Posted on 12 décembre 2022 in Poèmes primés