APOCALYPSE
Vomissure giclant sous la voûte anémique
Entre noirceur turpide et cérulé clément,
Serait-ce la fureur de ton ressentiment
Que tu craches sur nous, ô globe totémique ?
Hélas ! Nul, ici-bas, ne craint l’ire cosmique.
Les peuples affligés d’un même aveuglement
Ont choisi d’ignorer ton lointain châtiment,
Plus prompts à s’immoler dans l’enfer atomique.
L’Homme vénal et fourbe a brûlé ses vaisseaux,
Englouti les forêts, corrompu les ruisseaux,
Oubliant qu’il te doit le Jour et l’Existence.
Rends grâce, Humanité ! Pupille du soleil !
Avant que l’univers par son omnipotence
Te plonge dans le feu de ton dernier sommeil.
HIVER INCARNÉ
Il vient en tapinois sans tambour ni trompette,
Éteint férocement de l’été les flonflons,
De l’automne ses feux peints aux flancs des vallons,
Le regard à l’affût : c’est une malebête.
Sur les troncs rabougris il brandit sa serpette,
La serre des frimas suspendue aux talons
Et, le poil hérissé d’algides aquilons,
Détrousse le soleil dans un vent de tempête.
Hiver ! Prince des freux aussi noirs que ton cœur,
Nul ne veut affronter la cruelle rancœur
Des crocs marmoréens de ta lippe vorace.
Tout dort ; tandis qu’au ciel tes larmes de poison,
Du parterre floral coagulent la trace
Dans le silence obscur de ta blanche toison.
LE JOUR NAUFRAGÉ
Le ciel a peint ce soir un camaïeu de rose
Et cousu de fils d’or la dentelle des flots,
Tandis qu’en messager des nitescents falots,
La lune s’arrondit pour mieux prendre la pose.
Sur le pont des bateaux où le grelin repose,
Seul vacille parfois l’œil glauque des hublots ;
Du ressac de la mer montent de longs sanglots
Que le baiser du vent sur le sable dépose.
Au-dessus du gaillard des frêles caboteurs
Planent, dans l’air du soir, de subtiles odeurs,
Pot-pourri de mazout, de poissons et d’écume.
Le jour chavire alors dans l’horizon marin.
Abîmant avec lui le poudrier de brume :
Est-il plus beau naufrage ! Est-il plus doux écrin !
DUEL ASTRAL
Par-delà le ponant où le jour se fissure
Lorsque l’ombre s’adoube au glaive du mistral,
L’on voit à l’horizon le souffle vespéral
Étendre sur les flots sa morne damassure.
L’azur ensanglanté lèche sa meurtrissure
Et veut reconquérir l’espace sidéral
ou chaque soir se joue un duel ancestral,
Mais la Sorgue le vainc d’une ultime morsure.
L’œil cherche alors l’appui des orbes lumineux
Suspendus au linceul d’un ciel vertigineux,
Comme pour s’affranchir de l’obscure Chimère.
Dans cette lutte à mort figurant son destin,
Tout homme vertueux s‘abandonne au festin :
De la noirceur il sait le triomphe éphémère.
ALICE HUGO
Posted on 12 décembre 2022 in Poèmes primés