Héritière de la première académie de langue française, créée en 1607.
Aujourd’hui membre de la Conférence Nationale des Académies (CNA) et de l’Union des Sociétés Savantes de Savoie (USSS)
La naissance
Elle est attente, espoir. Ses pas, d’abord discrets,
Sont l’écho d’un cœur neuf qui commence de battre ;
Et, comme un feu couvant depuis longtemps dans l’âtre,
Un jour elle s’apprête à livrer ses secrets.
Et puis, par elle enfin, se dévoilent nos traits.
Nous voici donc au seuil d’un étonnant théâtre,
Où s’agite déjà, sous sa voûte bleuâtre,
Un riche essaim d’acteurs maladroits et distraits.
En ce monde inouï, qu’il faudra faire nôtre,
Nous trouverons peut-être un cher semblable en l’autre,
Un étranger sans doute au fond de notre esprit.
Plonger dans l’inconnu, ce n’est que cela, naître ;
Et là, sous un regard qui soudain nous sourit,
S’éveille alors en nous le sourd vertige d’être.
L’inextinguible soif
L’homme a toujours voulu découvrir et connaître :
ll traversa les monts, l’océan, les déserts,
Et du cœur des volcans aux sources des geysers,
Il n’est rien que son œil obstiné ne pénètre.
Les astres, qui le soir brillent à sa fenêtre,
Il les scrute et en fait des ouvrages diserts ;
Il sonde ce qui vit sur terre et dans les airs,
Et tente d’éclaircir le tréfonds de son être.
Ce sont les premiers pas du jeune explorateur,
L’imaginaire avide et vibrant du lecteur,
Ou les yeux grands ouverts de l’enfant à la vitre ;
C’est l’esprit pur du sage espérant s’entrevoir,
Ou le front du chercheur penché sur son pupitre,
Mais toujours brûle en nous cette soif de savoir !
Un sens à mon existence
Les notes et les mots illuminent ma nuit ;
Ils sont la source où mon esprit se désaltère ;
Mon cœur s’enivre d’eux, et, bien que solitaire,
Je ne me sens ni seul, ni miné par l’ennui.
Les vers et les accords m’ont lentement construit,
En conservant toujours leur superbe mystère.
Voilà mon vrai pays sur cette étrange terre,
Ce monde hypnotisé par l’image et le bruit.
Musique et poésie, ardents et chers murmures
Venant à flots subtils traverser les armures
Afin de faire naître un ineffable émoi.
Leur présence m’incite à vivre et vivre encore ;
Quand j’ai perdu la vue, elle a su mettre en moi
Les doux rayons d’une aube et l’espoir d’une aurore.
Élan vers la vie
Marche rêveusement, hardiment, mais sans chaîne ;
Laisse s’emplir d’air pur l’écrin de tes poumons ;
Entends ton cœur qui bat plus fort quand nous aimons,
Repoussant loin la peur de notre fin prochaine.
Parle avec retenue ou ferveur, mais sans haine;
Recueille les conseils plutôt que les sermons ;
Apprivoise la voix de tes propres démons,
Et fais de tout silence un vase d’oxygène.
Sois sage ou bien rebelle, en demeurant humain ;
Savoure chaque jour sans songer à demain:
Si précaire est la vie, et nous n’en avons qu’une,
Alors fuis l’amertume et le ressentiment,
Tente d’éteindre en toi le fiel et la rancune,
Et danse, danse encore, infatigablement !
LAURENT NOGATCHENSKY
Read MoreLongue nuit
à ceux qui dorment dehors…
Longue nuit, lourde nuit, sourde nuit ! Aucun rêve
Ne vient rompre le froid qui s’enroule sur moi.
Qu’il semble loin l’instant où le soleil se lève I
Qu’il semble chaud le lit sous n’importe quel toit !
Sombre nuit, vile nuit ! Sous mon carton humide,
J’entends le gargouillis d’une bouche d’égout,
Ultime compagnie en ce monde trop vide
Où tout ne revêt plus qu’un éternel dégoût.
Pauvre nuit, dure nuit ! Entre deux portes closes,
Je voudrais déchirer le ciel d’obscurité
Comme un drap trop épais et voir, sublime chose, Apparaître le bleu du jour et sa clarté !
Rude nuit, laide nuit ! Nuit immense et glacée
Tes étoiles ne sont que des flocons d’enfer
Qui tombent silencieux sur l’horrible chaussée
À travers la fenêtre ouverte de l’hiver.
Sonnet
RefIets d’or
Je rêve et je revois la mer aux reflets d’or
Qui de sa douce vague amuse le rivage
En jouant, à loisir, avec un coquillage
Tandis qu’un papa bronze et qu’une maman dort.
À l’horizon, la vague, aux mêmes reflets d’or,
Dans son onde engloutit, ténébreuse et sauvage,
Un radeau d’exilés, laissés sans équipage,
Avec le désespoir pour compagnon de bord.
Qui sont ces naufragés sans visage et sans nombre ?
Et pourquoi du soleil n’ont-ils le droit qu’à l’ombre ?
Comment se nomment-ils ? Qui les attend encor ?
Et la mer impassible, innocente, insolente,
Promène sur son dos aux flots de reflets d’or
Une éternelle vague assassine et tremblante.
À pas de loup
Tourne la lune autour du monde,
Tantôt d’ébène et tantôt d’or !
Quand vient le soir, la forêt gronde,
Peut-il y vivre un loup encor’ ?
La nuit se gonfle de mystère
Sous les yeux éclos du hibou,
Et roulant sur le Mont-Lozère
Passe la lune à pas de loup.
Tourne la lune à demi-ronde,
Moitié d’ébène et moitié d’or !
Le loup s’invite dans la ronde
Alors qu’on l’imaginait mort !
Qu’on la craigne ou qu’on la vénère,
L’ombre bestiale erre partout ;
Et flottant dans le ciel, légère,
Passe la lune à pas de loup.
LUDOVIC CHAPTAL
Read MoreÀ l’espoir de demain
Sur les remparts du soir, des petits cœurs de verre
Pleurent pour s’endormir sous les tirs incessants,
Et le vent porte, ému, les larmes d’innocents,
Messager des bambins dans l’horreur de la guerre.
Même le ciel a honte, explosé de carmin,
Devant l’humanité qui perd toute tendresse,
Quand du fond de la nuit, les enfants en détresse
Accrochent leur sommeil à l’espoir de demain.
Le songe les prendra pour retrouver Leur monde,
La chaleur du foyer, les baisers de flocons,
L’amour qui sait si bien étoffer les cocons,
Et la beauté des jours que la lumière inonde ;
Le préau de l’école ou le terrain de jeux,
Leur chien qui les attend, leur jardinet tranquille,
Et flâner dans les parcs… sans bombes sur la ville,
Pour chanter à tue-tête et se sentir heureux.
Alors au crépuscule, ils guetteront l’aurore,
La fenêtre est splendide aux premières lueurs ;
La gaieté des enfants naît de simples bonheurs,
C’est l’oiseau sur la branche et la paix qu’il arbore !
N’éteignons pas ce rêve où verdit l’avenir
Dans les regards d’enfants que le rire libère !
L’enfance est ce bourgeon tellement éphémère
Qu’un papillon en vol pourrait le voir fleurir !
Mémoire de fête
Je garde la photo d’un jour de fiançailles :
Ma grand-mère sourit, rose parmi les fleurs,
Elle avait à son bras tous les futurs bonheurs !
L’amour resplendissait en unissant leurs tailles.
Du grand-père inconnu, j’ai appris la bataille :
Partisan déporté, mort au camp de l’horreur.
Elle, la fleur en deuil, aux éclats de son cœur,
Tint la joie des petits derrière une muraille ;
Dans le secret des soirs aux soupirs étouffants,
Pour cacher le chagrin et bercer huit enfants,
Son silence pleurait un chant bien monotone !
La liberté de temps qu’ils voulaient enlacer,
Je la fête pour eux quand le huit mai claironne !
Pour l’enfant, l’avenir ne doit rien effacer.
Demain ne meurt jamais !
Jamais je n’oublierai les tout petits chaussons,
Tricotés en jacquard d’espoir et de tendresse,
Pour vos pieds sous ma peau rythmant de coups mignons,
La réponse de vie en notes d’allégresse.
La gourmandise allait barbouillant vos mentons :
Jamais je n’oublierai les tout petits chaussons,
Ceux fourrés à la pomme, arrosés de cannelle,
Vos sourires sucrés s’étiraient de plus belle !
Demain ne meurt jamais, c’est l’hier en chansons,
L’herbier des souvenirs s’enrichit pour y croire.
Jamais je n’oublierai les tout petits chaussons
Posés sur vos berceaux, attendant notre histoire.
Vous regarder partir vers d’autres horizons,
Pour mon cœur de maman qui voit à la chaussure…
Que vous avez grandi ! Mais une chose est sûre :
Jamais je n’oublierai les tout petits chaussons !
ELIZABETH ROBIN
Read MoreJ’aime en chemin
ces étonnants passages
ruisselants de cailloux
La coulée minérale
surprend le pas
à chaque avancée
et le regard défié
doit rapidement s’ajuster
pour éviter le plongeon
D’un chemin de bruyères
au ventre pierreux
monte avec insistance
l’appel des cailloux
Il encourage ainsi
la main de l’homme
à dépasser allègrement
le vertige d’un cairn
Le paysage penche
vers la mémoire
s’offre sans réserve
entre herbes et rocailles
à celui qui l’accueille
comme un secret dévoilé
D’un caillou
à un autre
dans la lumière
de mes pas
j’écoute
attentivement
le murmure
de la terre
Le chemin pèse
non pas de son poids minéral
mais de l’âme paysanne
qui l’environne encore
Entre la pierre immobile
et l’infini du ciel
la même présence divine
veille d’un amour démesuré
sur l’éclosion de mes pas
parmi les chemins de la Vie
Sur les chemins
marqués par le temps
la pierre s’est adaptée
aux pas sans faiblir
Elle garde en son cœur
la charge du monde
d’un calme admirable
qu’elle seule possède
Venue pour durer
Elle défie les saisons
et retient la vie
l’éternité est sa demeure
Le temps peut s’ébouler
la pierre étreindra toujours
avide de silence
le lieu de sa naissance
JEAN-CHARLES PAILLET
Read MoreAPOCALYPSE
Vomissure giclant sous la voûte anémique
Entre noirceur turpide et cérulé clément,
Serait-ce la fureur de ton ressentiment
Que tu craches sur nous, ô globe totémique ?
Hélas ! Nul, ici-bas, ne craint l’ire cosmique.
Les peuples affligés d’un même aveuglement
Ont choisi d’ignorer ton lointain châtiment,
Plus prompts à s’immoler dans l’enfer atomique.
L’Homme vénal et fourbe a brûlé ses vaisseaux,
Englouti les forêts, corrompu les ruisseaux,
Oubliant qu’il te doit le Jour et l’Existence.
Rends grâce, Humanité ! Pupille du soleil !
Avant que l’univers par son omnipotence
Te plonge dans le feu de ton dernier sommeil.
HIVER INCARNÉ
Il vient en tapinois sans tambour ni trompette,
Éteint férocement de l’été les flonflons,
De l’automne ses feux peints aux flancs des vallons,
Le regard à l’affût : c’est une malebête.
Sur les troncs rabougris il brandit sa serpette,
La serre des frimas suspendue aux talons
Et, le poil hérissé d’algides aquilons,
Détrousse le soleil dans un vent de tempête.
Hiver ! Prince des freux aussi noirs que ton cœur,
Nul ne veut affronter la cruelle rancœur
Des crocs marmoréens de ta lippe vorace.
Tout dort ; tandis qu’au ciel tes larmes de poison,
Du parterre floral coagulent la trace
Dans le silence obscur de ta blanche toison.
LE JOUR NAUFRAGÉ
Le ciel a peint ce soir un camaïeu de rose
Et cousu de fils d’or la dentelle des flots,
Tandis qu’en messager des nitescents falots,
La lune s’arrondit pour mieux prendre la pose.
Sur le pont des bateaux où le grelin repose,
Seul vacille parfois l’œil glauque des hublots ;
Du ressac de la mer montent de longs sanglots
Que le baiser du vent sur le sable dépose.
Au-dessus du gaillard des frêles caboteurs
Planent, dans l’air du soir, de subtiles odeurs,
Pot-pourri de mazout, de poissons et d’écume.
Le jour chavire alors dans l’horizon marin.
Abîmant avec lui le poudrier de brume :
Est-il plus beau naufrage ! Est-il plus doux écrin !
DUEL ASTRAL
Par-delà le ponant où le jour se fissure
Lorsque l’ombre s’adoube au glaive du mistral,
L’on voit à l’horizon le souffle vespéral
Étendre sur les flots sa morne damassure.
L’azur ensanglanté lèche sa meurtrissure
Et veut reconquérir l’espace sidéral
ou chaque soir se joue un duel ancestral,
Mais la Sorgue le vainc d’une ultime morsure.
L’œil cherche alors l’appui des orbes lumineux
Suspendus au linceul d’un ciel vertigineux,
Comme pour s’affranchir de l’obscure Chimère.
Dans cette lutte à mort figurant son destin,
Tout homme vertueux s‘abandonne au festin :
De la noirceur il sait le triomphe éphémère.
ALICE HUGO
Read MorePRIX DU CONCOURS TRADITIONNEL ANDREVETAN
Toutes catégories poétiques.
La Revue savoisienne 2021 a paru bien avant le Beaujolais nouveau et les Florimontans en règle avec leurs cotisations ont pu la recevoir dès la fin octobre ! Trêve de plaisanterie, remercions la diligence de M. Connac et de son imprimeur pour nous avoir livré à temps la revue de l’Académie. Les adhérents qui n’auraient pas encore reçu ce numéro peuvent le prendre à la permanence du jeudi matin (9h-12h) qui se tient à notre local. Ils pourront apprécier les compétences et la bonne humeur de l’équipe qui assure cette permanence. Ne craignez pas de venir, vous aurez la primeur des informations de notre académie, voire l’aide dans vos recherches, le tout couronné par la tasse de café de l’amitié car la tradition florimontane « avoir quelque compétence et être de bonne compagnie », tradition due à notre patron François de Sales se perpétue toujours.
En ce qui concerne le menu de cette année 2021, il satisfera, nous l’espérons, le goût de nos adhérents. Nous avons publié la fin des recherches de la peste en la ville d’Annecy (1629-1630) d’Annie Perrot et la reprise de l’article complet de Monique Constant concernant la peste de 1348-1349 en Chablais. Ce sont des articles fort bien documentés qui relativisent un peu les affres de la pandémie que nous connaissons en des temps où il n’ y avait pas les connaissances médicales que nous avons aujourd’hui.
Pour aiguiser notre fibre poétique la présidente du jury, Solange Jeanberné, nous offre le palmarès du concours de poésie de l’Académie. Ce concours rassemblait 80 participants soit 320 poèmes des années 2020 et 2021, puisque le Covid avait annulé le concours 2020. Comme le dit la présidente « Poésie et Covid ne font pas bon ménage ! À corps confiné, inspiration confinée ? » Mais c’était sans compter sur l’imaginaire et la créativité des participants de ces deux années regroupées. Les muses sont toujours au rendez-vous de l’Académie comme le souligne l’excellence des poèmes retenues. Les articles suivants concernent l’œuvre des frères Girod en Louisiane (1780-1840) livrée avec une importante documentation due aux talents littéraires et historiques de Jean-François Campario, la recherche minutieuse de Jean-François Davignon sur l’œuvre de la pensée politique de Claude de Seyssel intitulée « Claude de Seyssel, en son temps et au travers du temps ».
Notre secrétaire-adjoint, Yves Tyl, réétudie, en s’appuyant sur les travaux de l’université de Lausanne, le cas de sorcellerie à Saint-Jorioz au XVe siècle relatée naguère par le chanoine Lavanchy. En même temps, il nous livre à l’appui de cette analyse approfondie des pièces du procès instruit par le procureur de l’Inquisition la traduction des documents écrits en latin due à Mme Gillette Labory. C’est un regard renouvelé de l’étude de la sorcellerie au XVe siècle dans le diocèse de Genève.
Suivent l’hommage au Général Imbert par notre président Jean Viallet, une information d’Olga Ponchet sur le dépôt des archives de la sécurité sociale aux Archives départementales de la Haute-Savoie, les Glanes de Montrottier de Julien Coppier, Pierre Stépanoff et de Fanny Grué sur les collections du château éponyme, la Chronique des découvertes archéologiques dans le département de la Haute-Savoie en 2020 rassemblées par Joël Serralongue, deux notes de lecture et cerise sur le gâteau la bibliographie savoisienne que nous offre chaque année notre secrétaire Isabelle Bouvier.
En conclusion, je pense que le résumé de cette Revue savoisienne 2021 excitera et aiguisera votre curiosité sur l’histoire de Savoie. Chers lecteurs, c’est à vous de jouer à travers les chemins de traverse que vous livre La Revue savoisienne 2021. N’hésitez pas à butiner le pollen que nous livrent nos auteurs, ne résistez pas à nous faire connaître vos remarques, voire vos suggestions ou vos propres recherches. C’est ainsi que vous apporterez à la Florimontane du sang nouveau en suscitant de futures adhésions qui permettront un développement harmonieux de notre Académie et d’en assurer la vitalité. Tel est notre vœu le plus cher !
Bernard Premat, directeur de La Revue savoisienne
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